Kabuki : Iromoyō Chotto Karimame Kasane et Narukami

Un show très impressionnant et unique en son genre s’est déroulé au Théâtre National de Chaillot. Bluffée par leur performance, cela m’a prit quelque temps afin de collecter des informations à ce sujet. C’était une première pour moi, et sûrement pas la dernière! Je vous éclaire sur cette soirée.

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Nakamura Shido et Nakamura Shichinosuke

En plus de la recherche d’informations, j’ai aussi dû attendre les droits à l’image… dont je n’ai toujours pas la réponse. J’accréditerai donc les images à la source. Trêve de mondanité!
Le kabuki est un art multiséculaire qui n’appartient qu’au Japon. C’est un genre de théâtre très codifié, mettant en avant des acteurs qui sont costumés et maquillés. Avec cette explication, je vous décris le théâtre japonais au sens large. Ce théâtre existe depuis environ 400 ans, et son histoire est riche et diversifié. Le kabuki a évolué avec son temps, même s’il tient toujours une base ancrée qui est immuable et unique. Les comédiens Nakamura Shido et Nakamura Shichinosuke ont fait une représentation sur Paris, pour un moment de découverte, d’extravagance et des temps forts spectaculaires. Ils nous présentent l’un des nombreux aspects du kabuki : le yarō kabuki

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Le yarō kabuki (野郎歌舞伎) est une évolution du kabuki d’origine. Beaucoup plus sophistiqué, des hommes se spécialisent autant dans leur genre, que dans celui de la femme! On appelle ces hommes qui jouent le rôle de femmes des onnagata (女形). 
Un rôle qui est pris au sérieux au Japon, car très peu d’hommes sont aptes à le jouer à la perfection, voir au-delà, et à être catalogué officiellement comme un/une onnagata. En effet, certains de leur jeu d’acteur dépasse les qualités même d’une actrice dans le même rôle! Faut dire ce qu’il en est, par moment j’oubliais que c’était un homme. Du moins sa voix surjouée (dans les aiguës) me le faisait rappeler, mais sans pour autant pouvoir se moquer de l’acteur. Au contraire, je n’ai eu que d’admiration pour ce personnage… j’en suis tombée amoureuse! 

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Le maquillage est exactement celui que je vous avais expliqué dans l’article sur le stage de danse du professeure Juju Alishina : le maquillage shironuri. D’un blanc immaculé, on ne prête pas ce maquillage que pour les geisha et le nihon buyō, mais surtout pour le kabuki.
De tous les spectacles de kabuki que j’ai pu voir jusqu’à présent, c’est celui où j’ai été le plus impressionné au niveau du choix des kimono / yukata, et des accessoires. Criard de sophistication, de perfection à tous les niveaux, le choix des costumes est à coupé le souffle. De superb motifs, on ne pouvait pas reposer nos yeux tellement il y avait de choses à voir. Il arrivait que l’onnagata restait immobile pendant de longues minutes devant nous sans dire un mot pour laisser jouer l’autre acteur. Mais ce n’est pas dû au hasard. À mon humble avis, c’est pour nous laisser regarder en détail le travail prodigieux accompli par l’équipe en backstage sur l’aspect esthétique des personnages. Et quel travail!

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Narukami

Il n’y a pas que le costume et le maquillage qui étaient élégants. Nous avions surtout aimé leur manière de jouer. Tantôt nous plongeant dans un drame, tantôt dans des scènes explosives. Rude, droit et fière pour l’homme, courbe gracieuse, parfois à l’allure dandinée et douce pour la femme. 

Mais qu’est-ce que Iromoyō Chotto Karimame Kasane et Narukami? Et bien c’est la sélection de deux histoires que les comédiens joueront en deux temps. Tout d’abord Iromoyō Chotto Karimame Kasane qui durera 50 minutes. C’est l’histoire d’un rōnin (浪人) qui se surnomme Yoemon et d’une demoiselle de compagnie, Kasane qui connaissent un amour sans avenir, et se rendent dans une rivière pour se suicider. Mais coup de théâtre, c’est Yoemon qui assassine sa bien-aimée. Kasane devient alors un fantôme, et se venge. 
Il faut savoir que le kabuki est relativement difficile à comprendre. Ce sont des situations complexes rythmées par des dialogues avec un langage soutenu, que même un japonais natif pourrait avoir dû mal à comprendre. Il est donc essentiel quand on va voir un kabuki, de s’informer sur l’histoire de la pièce qui va être jouée pour ne pas s’emmêler les pinceaux ou pire, ne rien comprendre au scénario. Lors de cette soirée, nous avons quand même eu un kit (oreillettes) de traduction et brèves explications de ce qui se produisait sur scène. 

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Iromoyō Chotto Karimame Kasane 

Après l’entracte de 30 minutes, on passe à la pièce qui durera 1h20 : Narukami. C’est le nom d’un moine qui a emprisonné Ryujin (Dieu de la pluie ayant l’apparence d’un dragon) car il éprouvait de la rancoeur contre l’Empereur. Depuis il ne pleuvait plus nulle part. Dans la première partie du spectacle il fallait rompre cette malédiction, et donc l’Empereur envoya la Princesse Kumo no Taema (Lumière entre les Nuages) discrètement pour abuser de sa confiance et trouver le moyen de briser la malédiction en coupant une corde spécifique. 
Dans la seconde partie, on a des scènes beaucoup plus dynamiques. La traîtresse ayant été démasqué, le moine incarna un démon. Fou de rage, son maquillage et son costume change du tout au tout.
C’est quand même extraordinaire d’avoir un look complètement différent passant de la perfection à l’imperfection, et d’être toujours aussi classe. Rien est laissé au hasard.

Lieu : Théâtre national de Chaillot – 1 Place du Trocadéro, 75016 Paris
Date : 18 septembre 2018

Spectacle : « Sous les fleurs de la forêt de cerisiers »

« Sous les fleurs de la forêt de cerisiers » est une pièce mise en scène par Hideki Noda en 1989, reprise en 1992, en 2001 et ce vendredi 28 septembre 2018 dans le prestigieux Théâtre national de la danse Chaillot. Une première représentation de cette pièce couronnée de succès!

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©Japonismes2018 ©Théâtre Chaillot

Hideki Noda est un dramaturge qui a écrit une quarantaine de pièces, et il reprend aujourd’hui une de ses pièces phares pour le rejouer à Paris, dans une salle comble. Par le biais de ce spectacle, il nous montre sa réflexion sur l’État et les enjeux du pouvoir. La base de son histoire est inspirée de deux textes courts  d’Ango Sakaguchi, (1906-1955) : Sous les fleurs de la forêt de cerisiers et Yonagahime et Mimio. Dans sa thématique générale, la pièce nous raconte l’histoire de la première guerre de succession du Japon en 627.

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Des oni () remplissent la scène du début à la fin, qui sont des créatures d’un autre monde ou autrement dit des démons. Ces créatures sont très sollicitées dans le folklore japonais (arts, littératures et théâtres). Dans cette pièce, les oni côtoient les humains. Ils sont présents dans les moments les plus sombres de l’histoire, mais aussi dans les moments les plus heureux, afin de semer le doute dans l’esprit des êtres humains. Telles des montagnes russes, les émotions de la pièce de théâtre vacillent d’un moment à l’autre sous la lumière du soleil à celle de la nuit. Ces phases sont soulignées par les merveilleuses interprétations de la Princesse Longue-nuitYonagahime qui est le personnage sombre de l’histoire malgré son apparence, et la Princesse Sommeil-précoceHayanehime, l’opposée de sa soeur. Filles du seigneur de Hida, pour leur protection le père fait appel à des maîtres artisans pour leur sculpter un Bouddha. Ce n’est sans compter que sur ces trois artisans, deux ont usurpés l’identité des protagonistes qu’ils ont tués.

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©Japonismes2018    ©Théâtre Chaillot

Au-delà du bien et du mal, au-delà de la réflexion, la pièce connaît beaucoup de rebondissements. Jouée par trente comédiens, elle connaît une certaine complexité pour les spectateurs français. Le texte étant joué en japonais, on nous délivre un sous-titre en français, sur deux écrans, bien au-dessus de la tête des acteurs. Les 2H30 avec entracte passe à une allure hallucinante. Mais non pas que par son temps horlogique, mais par ces épisodes qui défilent aussi vite. Il était difficile de suivre le jeu d’acteurs en même temps que la lecture du sous-titrage. On s’habitue tant bien que mal au final à notre hochement de tête, d’haut en bas, afin de suivre la traduction et les mouvements des personnages. En dehors même de cette traduction, il faut savoir que le deuxième défi est la compréhension de l’histoire par acte. En effet, le scénario nous offre à son tour une certaine difficulté au niveau du dialogue. Tantôt nous avons l’impression que les différents actes n’ont rien à avoir les uns avec les autres, tantôt nous nous rendons compte qu’il y a bien un suivit de cette ribambelle d’histoires. La cause est probablement dû au langage utilisé, car rappelons-le, nous sommes vers l’an 627. Je me suis moi-même emmêlée les pinceaux dans le scénario avec mon acolyte, bien que certains passages sont compréhensibles.

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©Japonismes2018    ©Théâtre Chaillot

Les ambiances sont bien scindées grâce aux superbes décorations mobiles de la scène. Une bonne représentation du printemps sous les fleurs de cerisiers, des pétales tombant, des couleurs vives, tant dans les accessoires, que dans les costumes. Et surtout, des acteurs sensationnels! Des chants et des mimiques enchaînés dans un rythme effréné. On a des séquences d’amour, d’espoir, de désespoir, de croyance, de culpabilité, … toutes les émotions humaines jalonnent la scène, et c’est à partir de ces caractères humains que l’auteur nous fait garder les pieds sur terre. Ce qui m’a le plus impressionné, c’est la montée de la porte des oni. Je ne m’attendais pas à ce que cela soit possible sous nos yeux, mais grâce au Palais Chaillot et de leurs infrastructures, on a pu voir un travail monumental se dérouler devant nous.
Le nombre de fois que je me suis demandé : « c’est à quel moment la pause? »… et bien, sachez qu’il y en a pas en dehors de l’entracte. Toutes les séquences s’enchaînent avec une tonicité sans faille. L’échappée belle vers un univers transverse, il n’y a que le dramaturge Hideki Noda qui a su donner vie, et les acteurs sur scène nous inviter à trépasser l’imaginaire.

*Lieu : Théâtre national de la danse Chaillot – 1 Place du Trocadéro, 75016 Paris
*Dates : du 28 septembre au 3 octobre 2018

Un grand merci à Catherine PAPEGUAY pour l’invitation et au Palais Chaillot pour leur accueil.

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